Rapport Liikanen : est-ce que le système financier européen est suffisamment régulé?

Ce rapport a pour but de véhiculer l’opinion d’experts de haut niveau sur la question de besoin en matière de réformes structurelles. Le rapport Liikanen se pose la question suivante :

Est-ce que le système financier européen est suffisamment régulé ?

Le rapport présente une narration des crises successives qu’a subi le système, analyse ensuite les répercussions de ces crises sur le système financier en proposant un breakdown par business model. Il liste ensuite les différentes réformes engagées et discute leur légitimités ainsi que leur limites, puis propose finalement cinq pistes de réflexion pour mener des réformes jugées nécessaires :

  1. Les activités de trading propriétaire et autres activités de trading doivent être logées dans une entité juridique indépendante des activités de gestion de dépôts.
  2. Le besoin de se conformer à la directive de résolution et recouvrement bancaire
  3. La promotion d’utilisation d’instrument « bail in » capables d’absorber les pertes
  4. L’application de pondérations de risque plus robustes dans le calcul du capital réglementaire
  5. Le renforcement de la gouvernance du système bancaire par des mesures spécifiques

Séparation des activités

Le groupe d’experts a au fait considéré deux alternatives :

  • Alt1 : Séparation juridique des entités de trading, des entités de gestion des dépôts
  • Alt2 : Imposer un buffer de capital non pondéré au risque pour couvrir les activités risquées

Le groupe promeut au fait une combinaison des ces deux alternatives mais juge cependant que la mesure de séparation s’impose. Le rationnel derrière cette mesure s’explique par la volonté de séparer la fonction sociale de la banque (gestion des dépôts, concours à l’économie « réelle ») de sa fonction « spéculative », de restreindre aussi le recours à l’état (et donc au contribuable) comme bailleur de dernier recours.

La séparation juridique sera gage de plus de transparence et renforcera

La deuxième alternative vise à décourager l’accumulation de risque excessive de par les activités de trading ainsi que des niveaux importants de leverage. Or, le groupe juge que les réformes structurelles déjà entérinées (CRD4) convergent dans le même sens que la deuxième alternative et donc que la proposition de séparation comme mesure drastique permet d’attaquer le cœur du problème (à savoir le spillover du secteur financier à l’économie dite « réelle »).

La séparation est cependant conditionnelle à la part que représentent les activités risquées pour un établissement. Pour déterminer si nécessité de séparation est, il faut que :

  1. Les actifs détenus à des fins de trading ou AFS (available for sale) dépassent le seui de 15-25% du total actif d’un établissement ou qu’ils dépassent la valeur nominale de 100 milliards d’euros
  2. Dans un deuxième temps, les autorités de supervision déterminent la nécessité de séparation en se basant sur la part d’actifs à laquelle l’obligation de séparation s’applique. Ce seuil de séparation est amené à être calibré par la commission (quelle commission ?) ; le but de la calibration étant de soumettre tous les établissements dont les activités de trading sont susceptibles de représenter une grande part dans leur activité. La commission peut retenir des métriques autres que la taille des actifs (part de revenus par exemple) pour conduire la calibration.

La séparation des activités entraîne des conséquences pratiques qui soulèvent certains points :

  • Provision pour les activités de couverture pour les clients non financiers (swaps de taux, dérivés de change). Ces activités peuvent être exercées par l’entité de gestion des dépôts ; l’entité de trading peut exercer toutes les autres activités du moment qu’elle n’assure pas son financement des dépôts et qu’elle n’offre pas de services de retail.
  • Structure de holding pour loger les entités séparées : les entités séparées peuvent toujours faire partie du même groupe qui deviendra par la suite une holding (financière généralement) à condition de disposer d’isolations parfaitement étanches entre les nouvelles entités. En effet, le transfert de risque ou de fonds entre l’activité de gestion de dépôts et l’activité de trading devra se faire sur un principe de marché qui limite les larges expositions ( marché interbancaire)
  • Traitement prudentiel pour les nouvelles entités : Pour assurer la résilience des entités, chacune devra individuellement respecter les contraintes réglementaires (type CRD4). Ainsi chacune devra être capitalisée de manière adéquate (en incluant les contraintes de coussin de fonds propres) et se conformer aux contraintes type pilier2.
  • Services et offres à la clientèle : La séparation n’oblige pas de reprendre la dichotomie au niveau de certaines activités support, surtout les activités liées aux services des consommateurs. Ainsi la fonction Marketing pourra toujours confectionner des produits répondant aux différents besoins de la clientèle. L’accès des consommateurs aux différentes lignes de business sera assuré.

Directive de résolution et de recouvrement bancaire

Cette directive peut amener les autorités de supervision à élargir le scope de séparation des activités.

Les autorités peuvent en effet exiger d’une banque la modification de sa structure opérationnelle et juridique de manière à faciliter le recouvrement par la suite. La directive proposée par la commission en Juin 2012 vise à assurer le recouvrement des établissements défaillants de manière à ne pas compromettre les activités critiques, nuire à la stabilité financière ou impliquer le contribuable.

Le groupe met l’accent sur le fait que la séparation doit isoler les activités de trading des activités de dépôt et s’assurer de la capacité de l’entité de trading de dénouer ses positions risquées dans des situations de marché stressées de manière à ne pas compromettre le fonctionnement normal du système.

Instruments « bail in »

Le groupe encourage l’utilisation de ces instruments pour leur capacité d’absorption de pertes en précisant les critères retenus pour l’accès des investisseurs. Ces instruments remédient par ailleurs à la filialisation inhérente au financement de la dette et introduisent des incentives pour renforcer le contrôle des banques par les investisseurs.

Instruments bail in : ce sont des instruments de dette subordonnée qui peuvent avoir des caractéristiques de convertibilité et qui présentent donc un potentiel important de capacité d’absorption des pertes. L’émission de ces instruments doit être encadrée de sorte à ne pas gêner le fonctionnement régulier des marchés primaires et secondaires ; de plus ils doivent permettre de respecter la hiérarchie des différents créditeurs de l’établissement. Une framework appropriée devra être pensée en ce sens.

Investisseurs : les investisseurs qui devraient pouvoir bénéficier de l’émission de ces types d’instruments doivent être tous les investisseurs institutionnels non financiers et ce dans le but de limiter l’interdépendance du système financier et éviter d’introduire du risque systèmique par le biais de cette classe d’actifs.

Pondérations de risque plus robustes

Les pondérations au risque des actifs bancaires soulèvent la question du risque de modèle et des erreurs d’estimation, en particulier les queues de distribution et les risques systémiques ne sont pas pris en compte. Par ailleurs, la comité de Bâle a présenté des révisions pour les pondérations des actifs au risque que le groupe juge utiles et propose même deux options pour compléter ces révisions.

Etablir un coussin de fonds propres (non pondéré) supplémentaire aux fonds propres pondérés proportionnel aux actifs du trading book.

Etablir un seuil minimum pour les exigences en fonds propres couvrant le trading book.

En plus le groupe identifie certains axes nécessitant plus d’efforts :

  • Harmonisation des mesures de risques en IRB : En effet ,le groupe juge que les banques peuvent calculer des RWA différents pour un même profil de risque et juge donc qu’un effort d’harmonisation est nécessaire de sorte à rendre les modèles de risque plus robustes et surtout plus crédibles.
  • Prêts immobiliers : Le groupe trouve une corrélation significative entre les crises liées à l’immobilier et l’intervention du contribuable. Il juge donc que les prêts immobiliers doivent être sujet à un traitement plus sophistiqué que les autres types de créances. Une structure adéquate doit donc être mise en place incluant des gardes fous contre des crises hypothécaires substantielles. De plus une politique macroprudentielle  doit être élaborée avec les outils appropriés (plafonds LTV loan to value, LTI loan to income)
  • Ratio de levier : Le groupe encourage la migration du traitement du ratio de levier vers le pilier1 et voit même la nécessité d’encadrer les expositions intragroupe de manière à réduire encore plus le risque systémique.

Renforcement de la gouvernance

La gouvernance et les mécanismes de contrôle sont d’une importance cruciale pour les institutions bancaires. La crise passée a démontré les limites du rôle que peut jouer le board et le management dans la prise de risque, elle a aussi démontré la difficulté de la supervision des établissements bancaires par des parties externes (que cela soit les investisseurs ou bien les autorités de supervision).

Renforcer la gouvernance des établissements bancaires est donc primordial et passe selon l’avis du groupe par :

  • Mécanismes de gouvernance et de contrôle : les membres du board et le management doivent mettre l’accent sur la surveillance des établissements larges et complexes. Ces membres doivent faire preuve de leur compétence et leur capacité à s’acquitter de ces tâches.
  • Risk management : Le groupe juge que la fonction de risk management doit avoir plus de poids dans la gouvernance de la banque et encourage donc l’implémentation des CRD et prévoit même que le risk management reporte au comité d’audit et de contrôle indépendamment du CEO
  • Schémas d’incentives : Le groupe juge que les schémas de rémunération doivent être revus de manière à restaurer la confiance du public dans le secteur bancaire et propose donc d’indexer les rémunérations variables à la performance de l’institution à long terme et de capper l’enveloppe des bonus aux dividendes versés.
  • Communication et transparence : La communication des éléments de risque par business line et par entité juridique doit s’effectuer de manière transparente. Des indicateurs doivent être déclinés pour pouvoir comparer les profitabilités des différents établissements.
  • Pénalités : Les autorités de supervision doivent pouvoir prendre les sanctions nécessaires pour renforcer le dispositif de gestion de risque. Ainsi le blocage de rémunération et le banissement à vie de certains dirigeants doivent être envisageables.